Le “Chat Control” met en péril la confidentialité de nos échanges sur les messageries chiffrées comme WhatsApp, Signal et iMessage. Ce projet de règlement européen leur imposerait de scanner les photos et les vidéos envoyées au nom de la lutte contre la pédocriminalité. Si le chemin législatif est encore long, plusieurs voix se dressent déjà contre ce texte jugé liberticide. Décryptage.
Le chiffrement de bout en bout est le principe fondateur des messageries comme WhatsApp, iMessage, Signal ou encore Telegram. Il permet d’assurer la confidentialité des échanges, seuls l’expéditeur et le destinataire pouvant accéder au contenu des messages. Un projet de règlement européen dit “Chat Control” risque toutefois de le faire sauter au nom de la lutte contre les contenus pédocriminels. S’il est encore loin d’être adopté, il provoque déjà l’ire des défenseurs des libertés numériques.
Le texte imposerait aux plateformes d’inspecter les échanges pour détecter d’éventuels contenus à caractère pédocriminel. Les photos, vidéos et liens envoyés passeraient ainsi à la moulinette d’un scanner virtuel. En cas de découverte “suspecte”, les plateformes devront envoyer un signalement à un centre européen ; lequel pourra ensuite transférer le dossier aux forces de l’ordre si les contenus s’avèrent bien problématiques.
Dans une version récente du texte, les usagers des messageries ont le choix entre :
- Conserver le chiffrement mais ne plus pouvoir envoyer de photos et de vidéos
- Accepter le scan mais perdre le chiffrement
WhatsApp, Signal, iMessage : vers la fin de la confidentialité des échanges ?
Ce projet de règlement vivement critiqué sera-t-il bientôt adopté ? Dans l’Union européenne, la Commission (toujours à l’initiative législative) transmet ses propositions au Parlement et au Conseil de l’UE. Si ce dernier accepte les amendements des eurodéputés, le règlement peut être adopté. Sinon, la navette législative repart de plus belle, comme dans le cas du “Chat Control“.
Le 20 juin dernier, la présidence belge du Conseil de l’UE a finalement ajourné un vote décisif. “Le point a été retiré de l’ordre du jour car il est devenu évident que la majorité nécessaire pour convenir d’un mandat de négociation ne serait pas atteinte”, explique un fonctionnaire de l’UE à Tom’s Guide. “La présidence du Conseil doit ensuite préparer un nouveau projet de compromis dans l’espoir que celui-ci puisse réunir la majorité nécessaire”, complète une autre source européenne.
« Chat Control » : le chemin législatif est encore long
La Hongrie prendra le relais de la présidence belge dès le 1er juillet. C’est donc elle qui chapeautera les futures réunions du Conseil sur le “Chat Control”. “Notre présidence continuera de travailler sur l’élaboration d’une solution législative à long terme pour prévenir et combattre les abus sexuels sur les enfants en ligne et sur la révision de la directive contre l’exploitation sexuelle des enfants”, promet-elle dans son programme.
Le chantier devrait ainsi reprendre de plus belle. “Je crains qu’il existe un risque important que le Conseil l’approuve, ce qui pourrait être convenu lors des négociations suivantes. Lors du dernier vote, il manquait un seul pays pour obtenir la majorité nécessaire. Et certains gouvernements critiques ne demandent que de petits changements”, anticipe l’eurodéputé allemand Patrick Breyer, joint par Tom’s Guide.
Des réunions du Conseil dans sa formation “Justice et affaires intérieures” sont d’ailleurs programmées en octobre et en décembre. “Sur le plan procédural, il faudrait que – une fois que le Conseil aura convenu de son mandat de négociation – le Conseil et le Parlement européen se mettent d’accord sur un texte commun qui devra ensuite être formellement adopté”, décrypte une source européenne.
L’arrivée à un compromis risque toutefois d’être complexe. En novembre dernier, les eurodéputés avaient largement amendé le texte initial du “Chat Control” en retirant notamment l’obligation de scan des conversations chiffrées.
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« Chat Control » : un outil inefficace ?
Patrick Breyer (Parti des pirates) fait notamment partie des opposants les plus réfractaires au projet. D’après lui, le scan automatique des conversations serait totalement inefficace :
“Les agresseurs ne partagent pas leur contenus via des services commerciaux de courrier électronique, de messagerie ou de chat, mais s’organisent via des forums secrets autogérés sans contrôle du chat. Les agresseurs téléchargent également généralement des images et des vidéos sous forme d’archives cryptées, partageant uniquement les liens et les mots de passe. Les algorithmes de contrôle du chat ne reconnaissent pas les archives ou les liens cryptés”.
Patrick Breyer
On peut également craindre que de nombreux faux positifs soient détectés, rendant suspectes des personnes totalement innocentes. Imaginez que vous envoyez des photos de vacances à vos proches sur WhatsApp et que certaines montrent vos enfants en maillot de bain. Seront-elles considérées comme des images répréhensibles par le système de scan ?
Du côté des plateformes concernées, le projet de règlement est vivement condamné. “Scanner les messages des gens comme le propose l’UE casse le chiffrement. C’est de la surveillance et c’est une voie dangereuse à emprunter”, déplore Will Cathcart, patron de WhatsApp.
“Il est impossible de mettre en place de telles propositions dans le contexte de communications chiffrées de bout en bout sans saper fondamentalement le chiffrement et générer une faille dangereuse au sein de l’infrastructure qui aurait des répercussions mondiales bien au-delà de l’Europe“, abonde Meredith Whittaker, présidente de Signal.