Le saviez-vous ? Le Seigneur des anneaux, de J. R. R. Tolkien, aura eu droit à une réécriture par l’URSS. Le livre, très loin d’être ancré dans la fantasy (et jamais commercialisé en anglais), s’appelle The Last Ringbearer et inverse les rôles : le Mordor (l’URSS) se bat contre l’envahisseur, Gandalf, Aragorn et les Elfes (l’Occident). Mais pourquoi une telle réécriture ?
L’histoire de la publication du Seigneur des anneaux de Tolkien aura été particulièrement troublée en Union soviétique. Une première tentative (infructueuse) l’avait réécrit comme un livre de science-fiction, dans lequel l’anneau unique n’était qu’un simple instrument scientifique. D’autres versions abrégées ont vu le jour, avant qu’une traduction russe complètement modifiée n’apparaisse en 1992, après l’effondrement de l’Union soviétique. Mais pourquoi l’URSS se méfiait-elle autant des récits de Tolkien ?
L’URSS aura totalement réécrit Le Seigneur des anneaux, de Tolkien
À la fin des années 90 — des années après l’effondrement de l’Union soviétique —, un paléontologue et arachnologiste russe appelé Kirill Yeskov avaient auto-publié un livre consacré à l’interprétation soviétique du Seigneur des anneaux. Ce livre s’appelle The Last Ringbearer, ou Le Dernier Anneau, en VF. Yeskov avait fondé son roman sur la prémisse que le récit de Tolkien n’était qu’une « histoire écrite par les vainqueurs ».
Voici le synopsis en quelques lignes (et sans trop de spoilers, si toutefois vous étiez amenés à le lire). Face à une catastrophe climatique imminente, le paisible royaume oriental du Mordor, sous Sa Majesté Sauron VIII, exploite la technologie moderne pour se lancer dans une révolution industrielle, aidé par sa classe d’élite de scientifiques, les Nazgûl. Une loi d’alphabétisation universelle est votée, et par le biais d’un corps diplomatique expérimenté et à un puissant appareil de renseignement, l’armée permanente se retrouve radicalement réduite.
Mais « l’occident agressif à tête dure », dirigé par l’impérialiste belliqueux Gandalf, se sent menacé par le Mordor. Gandalf concocte ainsi une « solution finale au problème mordorien », en collusion avec les Elfes, racistes, situés de l’autre côté de l’océan occidental. Utilisant leur marionnette Aragorn, les Elfes dominent les hommes de la Terre du Milieu…
En résumé, le livre dépeint une grande civilisation qui tente de construire une société rationnelle, basée sur la science et la technologie (l’Union soviétique), mais qui se heurte à la haine irrationnelle des soi-disant « peuples libres » (l’Occident) dirigés par des Elfes racistes d’outre-mer (les Américains). Ces Elfes conspirent pour détruire le Mordor et diviser la race des hommes (les européens), qui poussent constamment leur influence vers l’est (expansion de l’OTAN). Il revient donc à des espions héroïques (Poutine ?) de sauver le Mordor.
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Aux yeux des Soviétiques, Le Seigneur des anneaux résonnait ainsi à l’époque comme une allégorie de la guerre froide : les bons, les individualistes, les « peuples libres » de l’Occident, contre le mauvais totalitarisme industriel de l’est. Tolkien n’avait certainement pas l’intention que ses romans soient interprétés de cette façon, dénonçant notamment l’allégorie « dans toutes ses manifestations ».
Bien que traduit en plusieurs langues, le livre n’aura jamais connu de sortie commerciale en anglais. Plusieurs maisons d’édition britanniques ont envisagé d’entreprendre une traduction, mais chacune a abandonné ses plans en raison du potentiel de litige de la succession de Tolkien, qui a pour habitude de s’opposer strictement à toute œuvre dérivée, en particulier en anglais. Yisroel Markov aura toutefois traduit le livre en anglais en 2010 (sous la forme d’un e-book gratuit), mais Mark Le Fanu, secrétaire général de la Société des auteurs, estime qu’en dépit d’être non commercial, le livre constitue encore et toujours aujourd’hui une violation du droit d’auteur.
Populaire auprès des fans russes, The Last Ringbearer est plus qu’une simple allégorie de la guerre froide : c’est aussi une fenêtre sur l’esprit de la génération des baby-boomers soviétiques, à laquelle appartiennent à la fois Poutine et Yeskov.