Écologie, domination masculine… Sous ses scènes d’action mouvementées se cache un discours politique bien rôdé. Que vaut Furiosa: une saga Mad Max, préquel de Fury Road dans lequel George Miller laisse exploser sa créativité en termes de mise en scène dans un univers bien bâti ? Nous sommes allés voir ce film plus bavard, pour le mieux, voici notre verdict.
Il y a 9 ans, Fury Road avait marqué les spectateurs par son intensité et ses scènes d’action bien rodées. Si Tom Hardy a brillamment succédé à Mel Gibson dans la peau de Max Rockatansky, c’est surtout Charlize Theron en Furiosa qui a marqué les spectateurs. Devenu icône de la pop-culture et du féminisme, George Miller s’est attelé à offrir un préquel à ce personnage. Exit l’actrice sud-africano-américaine, Anya Taylor-Joy prend sa place. Furiosa: une saga Mad Max, réussite comme son prédécesseur ou pétard mouillé ?
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L’enfance de Furiosa : bavarde, la plus réussie des parties
Il n’est pas tout à fait vrai de dire que c’est Anya Taylor-Joy seule qui prend la place de Charlize Theron. Le récit démarre lorsqu’elle n’est qu’une enfant jouée par Alyla Browne et vivant dans un véritable paradis au milieu du désert post-apocalyptique. Puisque le film ne prend pas de gants et se veut aussi nerveux que Fury Road, l’action démarre immédiatement et la gamine se fait enlever. Il est question de vie ou de mort : ses ravisseurs sont en mesure de dévoiler l’emplacement de son paradis et ils ne sont pas armés de bonnes intentions. Dans cet univers ravagé par la violence, tout le monde est fou et menaçant. Sans exception.
L’enfance de Furiosa est la plus réussie des parties du long-métrage. Hargneuse, la gamine assassine l’un de ses assaillants en lui tranchant la gorge, félicitée par sa mère pour son geste (Charlee Fraser, impressionnante) qui protège l’emplacement de leur paradis. George Miller démontre l’ampleur de son imagination lorsqu’il s’agit d’offrir des séquences d’action dantesques et découpées en plusieurs courts temps morts : un poursuivant s’arrête à mi-chemin pour modifier son véhicule ou pister sa proie disparue derrière d’énormes dunes en prenant de la hauteur. Le monde post-apocalyptique est un énorme terrain de jeu pour le réalisateur qui offre quelques plans saisissants – la mère de Furiosa, attachée par Dementus, et un ciel rouge des Enfers derrière elle. Malgré, par moment, des effets spéciaux de piètres qualité avec des incrustations très visibles.
Dementus, parlons-en. Certains argueront que Chris Hemsworth ne se limite pas à Thor, qu’il y a aussi eu Rush de Todd Howard parmi ses réussites critiques. Certes, mais il faut admettre que l’acteur australien s’essaie à un nouveau genre : le cabotinage. L’exercice lui sied à ravir en bouffon avide de pouvoir et tout en muscles, impressionnant par sa carrure et dénué de toute empathie. Assassinant la mère de Furiosa devant ses yeux, il pose les jalons de la future vengeance de la gamine, trimballée en cage car “pure” : pas de malformation physique, en bonne santé, vive. Ce qui rare, dans l’univers de Mad Max où tout le monde a été exposé à des modifications génétiques. Pendant ce début de récit, le film est plus verbeux, présentant la rencontre entre Dementus et Immortan Joe (Lachy Hulme) avec sa clique de politiciens véreux. Les scènes d’action sont plus courtes mais conservent leur intensité là où, lorsque Furiosa entre dans l’âge adulte, incarnée par Anya Taylor-Joy, l’enthousiasme se tasse un peu plus.
Des courses-poursuites nerveuses, sans musique
L’enthousiasme se tasse mais cela ne veut pas dire que Furiosa a dit son dernier mot, loin de là. Si le long-métrage n’a rien à voir avec Fury Road, soyons clair sur ce point, les courses-poursuites dans le désert sont tout aussi dantesques. Et comme George Miller s’amuse, il ajoute même des ennemis volants. Mais là où le film surprend, c’est sur l’absence de musique pendant ces moments. Exit l’artiste néérlandais Junkie XL, qui a pourtant collaboré avec le réalisateur sur son précédent projet, Trois mille ans à t’attendre. La composition musicale laisse place au silence. Ne restent que les bruits d’armes à feu, de moteurs vrombissants, le vent du désert aride et les cris d’un War Boy qui se sacrifie en prenant quelqu’un pour témoin de sa dévotion.
Là encore, pendant ces courses-poursuites, George Miller s’amuse en termes de mise en scène. Le réalisateur ne se contente pas de filmer mollement l’action, de la découper jusqu’à l’overdose ou de présenter un résultat propret comme beaucoup de productions actuelles. Il est question d’expérimentation et d’inventivité dans une période où les blockbusters font preuve de paresse, exécutent sans trop de fantaisie, et ça fait du bien. À ce niveau, Fury Road a déjà fait ses preuves alors attendez-vous à une action similaire dans l’ADN tout en offrant quelque chose de différent dans l’exécution. Neuf ans après, George Miller ne se repose pas sur ses lauriers même si les moments mouvementés sont moins nombreux.
Lorsque l’on parle d’un enthousiasme qui se tasse, il est question ici de sensibilité alors pour un court moment, passons à la première personne. Pour ma part, j’ai beaucoup de mal à enchaîner les scènes d’action aussi nerveuses et bruyantes sans pauses. Alors si le sentiment d’ennui ne s’est jamais invité, mon esprit a quelquefois décroché. Le désavantage d’un tel parti pris d’une nervosité constante après une première partie verbeuse mais tellement passionnante, posant les particularités de ce monde post-apocalyptique et le sort de Furiosa qui arrive à échapper à la surveillance d’Immortan Jo jusqu’à devenir l’un de ses soldats au milieu de tous les hommes.
George Miller parle écologie et domination masculine
Mais l’imagination de George Miller n’est pas que de mise lors des scènes d’action. Ses choix en termes d’esthétique reflètent le propos de Furiosa – ça ne plaira pas à ceux qui estiment que le Septième art n’est pas politique (il l’est) : la domination masculine et l’écologie. À ce propos, l’un des plans qui reflètent le plus ce discours (que l’on retrouve déjà dans Fury Road) est la première fois que Furiosa, adulte, est proche de Dementus. Depuis l’habitacle de son véhicule, elle ne voit que le corps musclé de son ennemi, son visage est coupé par le champ de vision de l’héroïne. Ce n’est qu’une carcasse pleine de violence. L’antagoniste ne s’entoure que d’hommes et les femmes sont réduites en esclavage, comme celles d’Immortan Joe, jeunes et belles, utilisées pour procréer et nourrir en lait maternel. La seule guerrière qui accompagne le personnage campé par Chris Hemsworth doit faire preuve d’autant de férocité et de cruauté que les mâles. Pendant le film se déroule un jeu de pouvoir entre les hommes violents qui se battent pour les quelques ressources répartis entre la Citadelle, Pétroville et le Moulin à Balles.
Quant à l’écologie, nul besoin de vous faire un dessin. Le monde s’est effondré face à l’activité humaine, laissant place à un désert où, comme expliqué précédemment, tout le monde est fou et menaçant. Le seul coin de verdure où la nature a repris ses droits, d’où vient l’héroïne, est menacé par ces mâles belliqueux. Ceux qui ne cèdent pas à l’agressivité, comme l’Homme-histoire ou Praetorian Jack, se comptent sur les doigts d’une main. Le narrateur l’explique à Furiosa, il faut se rendre indispensable pour ne pas mourir. Quant à Jack, aussi bien portant que l’héroïne, une histoire d’amour se noue entre eux. Quoique quelque peu superficielle et tombant comme un cheveu sur la soupe, servant de second prétexte à Furiosa pour poursuivre Dementus. Mais on ne dit pas non à un peu d’espoir amoureux dans un monde où tout le monde est dégénéré.
Une histoire de vengeance dans un univers bien bâti
L’univers de Furiosa sert son récit de vengeance qui, parfois, apparaît un peu artificiel et forcé pour faire la jonction avec Fury Road. Les intentions de l’héroïne s’entendent mais sont parfois poussées artificiellement vers Dementius pour raccrocher les wagons. L’expression (très cliché) “ce n’est pas la destination qui compte mais le voyage” tombe sous le sens dans ce film. Ce qui compte, c’est cette enfant arrachée à ses racines pour tomber, très jeune, dans un monde dominé par des hommes violents. Une violence qui alimente la haine en elle, un désir de vengeance qui ne cesse de grandir. Qu’existe-t-il dans le monde de Mad Max ? Les rêves n’existent pas, le plaisir non plus, tout est affaire de survie et d’intérêts personnels. La revanche est une raison de vivre pour Furiosa, poussée par tous ses traumatismes. Rentrer chez elle passe en second plan, le chemin tatoué a disparu lorsque son bras a été arraché, elle ne peut pas retrouver sa maison tant qu’elle n’aura pas envoyé Dementius en Enfer. Puis, pendant des années jusqu’à Fury Road, elle préparera la fuite des “épouses” d’Immortan Joe. L’égoïsme typique qui habite chaque être de ce monde, lorsqu’il n’est pas soumis à un plus fort que lui, s’éloigne d’elle.
Là où Furiosa reste en tête, c’est aussi grâce à la méticulosité avec laquelle George Miller construit son monde. Entre les véhicules fabriqués à partir de tout et n’importe quoi, les armures et armes cabossés, les difformités, les règles et lois, tout tient solidement la route. Dans la Citadelle, les moins que rien vivent sous terre et se nourrissent de cadavres pourris, infestés d’asticots. Il suffit d’une seule scène, très courte, pour le comprendre. Le réalisateur n’épilogue pas une éternité et c’est tant mieux, comme lorsqu’il montre qu’un War Boy dédie sa vie à Immortan Joe en se sacrifiant devant Dementius ou la manière dont la politique régit la gestion des ressources convoitées par des nombreux brigands.
Oui : allez voir Furiosa
Furiosa est un bon film. George Miller offre une fable politique et violente sous le vernis d’une action soignée. Si l’on pourra lui reprocher ses courses-poursuites cacophoniques à la longue et son histoire au forceps à certains niveaux, Anya-Taylor Joy et Alyla Browne habitent un personnage complexe, animé par la vengeance dans un monde où plus rien n’a de sens. La première partie, plus verbeuse, est passionnante à suivre tout comme les différentes étapes par lesquelles passent l’héroïne jusqu’à devenir celle dont les fans de Mad Max se souviennent. Bras mécanique, front peint en noir et hargne au fond d’elle. Le tout apparaît cohérent et explique les motivations de Furiosa dans Fury Road, une femme qui sauve d’autres femmes d’un univers dominé par la terreur que font régner les hommes, se battant jusqu’à la mort pour les dernières ressources, la beauté et la jeunesse des jeunes filles.
Rien ne remplacera jamais l’expérience de la salle de cinéma. Pas même le streaming ou la VOD sur un écran 4K d’une taille impressionnante et doté d’un système audio aux petits oignons. Le cinéma offre une immersion incroyable et c’est comme ça que Furiosa a été pensé. C’est pour les salles obscures que George Miller a réalisé ce nouvel opus dans la saga Mad Max. Alors tant qu’il est programmé, allez-y pour ressentir la puissance des images et du son de cet univers post-apocalyptique. Les 150 minutes filent à toute allure et lorsque les lumières se rallument, on reste un peu hagard. Si le film a enflammé la croisette lors du Festival de Cannes avec des applaudissements pendant 6 minutes, ce n’est pas pour rien.