À l’occasion d’une visite de l’Apple Developer Academy, nous avons pu rencontrer Sarah Herrlinger, en charge de l’accessibilité pour Apple, mais aussi des développeurs qui portent ce combat au quotidien, ainsi que des étudiants, la relève…
Au cœur d’un des quartiers les plus pauvres de Naples, au pied des pentes du Vésuve, dans une ancienne usine de conditionnement de tomates dont il ne reste plus qu’une cheminée inutile, se dresse l’Apple Developer Academy. Une école d’un genre nouveau où des étudiants, d’Italie principalement, d’Europe ou d’Amérique latine, viennent suivre un cursus de neuf mois au cours duquel ils ne vont pas tant apprendre à coder qu’à travailler en équipe, collaborer, réfléchir, connaître les bases du design d’applications, bref, se frotter à ce que doivent maîtriser ceux qui souhaitent se lancer à l’assaut de l’App économie. Une école, fruit de l’association de l’Université Federico II, de Naples, de la région de Campanie et d’Apple.
L’accessibilité commence avec les développeurs
Ce jeudi 9 novembre, la septième cohorte d’étudiants est réunie dans une grande salle pour se concentrer sur le deuxième défi de leur cursus débutant : l’accessibilité.
Derrière ses faux airs de rock star tout de noir vêtu, Stefano Perna, Lead mentor à l’Académie et chargé du programme pédagogique, nous donne quelques détails en nous faisant visiter ce vaste espace découpé en « Labs ».
Un sourire amusé aux lèvres, il nous explique que les étudiants fraîchement arrivés en début d’année se sont lancés par groupes dans la création d’une première application. Dans le cadre de cette formation axée sur la pratique, l’heure est maintenant venue de passer ce premier projet au filtre de l’accessibilité.
Autrement dit, l’appli est-elle utilisable par une personne en situation de handicap ? Et comme toute réponse, celle-ci est d’autant plus difficile que le handicap revêt de multiples formes, rappelle Sarah Herrlinger, directrice senior en charge de l’accessibilité au sein d’Apple, devant l’assemblée des étudiants. Elle a fait le déplacement jusqu’à Naples pour cette occasion. « C’est important de montrer la voie aux étudiants en espérant qu’ils vont l’emprunter », nous dit celle qui vient porter son message presque chaque année depuis la création de l’académie. Tout commence toujours avec des humains…
Accessibilité, commencer par convaincre les développeurs
C’est ce que nous ont dit deux représentants de la société WeTransfer qui étaient là pour participer à cette journée particulière. Lina Ruiz est directrice de la responsabilité sociale au sein de la plate-forme de partage de documents. Quand elle est arrivée au sein de WeTransfer, elle s’est rapidement rendu compte que l’accessibilité n’était pas portée aussi haut qu’elle pourrait l’être.
Sur un canal de discussion interne, elle a alors posé une question, et Bas Broek a répondu. Le jeune homme est un développeur sensible à la question de l’accessibilité, passé brièvement par Apple où il a travaillé sur VoiceOver, outil très utile à la communauté des malvoyants et intégré dans la plupart des OS du géant californien.
Depuis, les deux collègues portent ce flambeau, informent ceux qui travaillent à leur côté, et les poussent à penser à l’accessibilité. Il suffit d’« une personne qui en convertira d’autres » pour « changer la culture interne de l’entreprise, pour mettre l’accessibilité au cœur du projet », expliquent-ils.
Intégrer l’accessibilité dès le départ pour réduire les coûts
Et la route n’est pas simple. Car, « comment une petite équipe qui cherche à lancer une application peut-elle absorber le surcoût liée à l’accessibilité ? Comment l’accessibilité peut-elle s’intégrer à la recherche du MVP, le minimum viable product ? », s’interroge une jeune développeuse devant Sarah Herrlinger.
La réponse est immédiate. « L’accessibilité fait partie du MVP. L’accessibilité fait partie de la fondation et si c’est le cas elle ne nécessite pas de code supplémentaire ». Et Jonathan Chacón Barbero, développeur senior pour l’application Cabify, présent pour ce défi et lui-même aveugle, d’abonder : « les outils de développements, pour iOS ou Android, permettent d’intégrer l’accessibilité dès le début. Si les composants standards sont utilisés, ce sera facile de s’assurer que l’application soit utilisable par tous. Alors que des changements ultérieurs seront plus coûteux, et demanderont des modifications plus importantes ».
Sarah Herrlinger reprend alors une image qu’elle a empruntée au fil de ses rencontres : « l’accessibilité est comme un muffin aux myrtilles. On ne met pas les myrtilles, à la fin, une fois que c’est cuit… ».
L’humain aux limites de la technologie
D’autant que les outils disponibles, dont SwiftUI, pour iOS, facilitent désormais la vie des développeurs. Une constatation que les étudiants avec qui nous avons pu discuter ont pu faire par eux-mêmes.
À la fois surpris, fiers et heureux, les apprentis développeurs se sont rendu compte que leur première application n’était pas parfaitement optimisée pour l’accessibilité. Néanmoins, l’essentiel était là. Il leur a suffi de suivre les recommandations de développement, et il ne leur restait plus que quelques détails à régler : un nom d’image explicite par-ci, un code couleur moins criard par-là, ou encore des boutons plus larges – c’est toujours dans le détail que le diable vient se nicher…
Mais les développeurs ont également accès à des technologies plus évoluées, comme l’IA et plus précisément le machine learning pour aider les personnes en situation de handicap.
Sarah Herrlinger met notamment en avant la fonction de reconnaissance de porte d’iOS, qui permet à un aveugle de savoir quelle est la bonne entrée et dans quel sens elle s’ouvre quand il arrive à destination.
Jonathan Chacón Barbero tient cependant à compléter ce point de vue : « L’IA pour aider à la vision est intéressante, mais pour les aveugles, c’est lent, parce que vous devez filmer toute la réalité devant vous pour trouver ce que vous cherchez. », explique-t-il. Et il suffit de fréquenter des personnes malvoyantes utilisatrices de smartphones pour savoir que c’est vrai.
La solution, selon lui, quand on touche aux limites de la technologie, c’est « de faire intervenir les humains quand c’est possible », comme c’est le cas pour Cabify, qui a formé les chauffeurs qui utilisent son appli à accompagner les personnes qui en ont besoin jusqu’à cette fameuse porte. Simple, efficace, humain.
Le handicap : un défi quotidien
Et Jonathan Chacón Barbero, très écouté, car il est un développeur réputé et de manière évidente le premier concerné par les fonctions d’accessibilité, de rappeler que pour une personne handicapée, « le monde est un défi ». Un défi quotidien qui requiert des réponses en constante évolution. Sur ce point, tous nos interlocuteurs sont d’accord, il est toujours possible de faire mieux, de chercher de nouvelles approches pour faire que ce défi soit moins dur à relever.
Pour Jonathan Chacón Barbero, c’est une nécessité et un défi visiblement relevé sans cesse avec plaisir. Pour Sarah Herrlinger, c’est une sorte de devoir moral : « L’accessibilité est un excellent moyen de niveler les inégalités, et de permettre à chacun de briller. Je pense vraiment que chacun devrait avoir ses chances dans ce monde. Pourquoi la technologie devrait-elle nous en empêcher ? », demande-t-elle, sereine et enthousiaste.
Des produits qui in fine profitent à tous
La technologie au service de tous, sans distinction. Avec, parfois, une inversion des rôles, de l’ordre des choses. Comme c’est le cas avec la fonction Toucher deux fois, introduite dans les nouvelles Apple Watch cette année. Cette fonction est une évolution pour tous d’Assistive Touch, développée par les équipes de Sarah Herrlinger. Elle permet aux personnes en situation de handicap d’interagir avec la montre connectée d’Apple sans toucher son écran tactile ou ses boutons.
« Nous sommes ravis que d’autres aient trouvé notre travail utile, suffisamment pour le rendre omniprésent. », commence-t-elle par répondre, fière de son équipe. Puis, après une pause, en souriant et comme si elle révélait un des secrets les mieux gardés d’Apple, elle conclut par cet aphorisme aux airs de déclaration de principe : « Quand vous construisez pour ceux qui se trouvent à la marge, vous fabriquez toujours de meilleurs produits pour tous ». CQFD.